De un à deux et/ou de deux à un : questions autour du partenaire.

MÉMOIRE MONITORAT, juin 2013 | Domitille Soumagnac

J’ai abordé le taichi comme on explore un pays inconnu, et ce à plusieurs titres ; je n’avais jamais réellement fait de sport jusqu’à cette deuxième mi-temps de ma vie ; je n’avais pas d’expérience d’un club de sport, d’une pratique commune, d’un apprentissage sportif ;
la notion d’effort, oui, comme tout un chacun, mais sans le contexte particulier d’une discipline sportive, et celle toute particulière d’un art martial.

Je n’avais donc jamais eu à me poser la question de « l’attitude adaptée » lors d’un sport sinon collectif, du moins avec partenaires.

Le taichi, art martial et art de santé, inclut la notion de l’autre dès que l’on cherche à mettre du sens dans la pratique ;

J’ai souhaité laisser venir les questions de « partenaire » que je désire approfondir dans ces quelques pages, au travers des différentes pratiques du taichi que sont les applications, le tuishou et la forme.

Tout d’abord quelques recherches sur le sens communément donné aux mots partenaire et partenariat :

Synonymes de partenaire : compagnon, complice, second, allié, associé, coéquipier, confrère etc Définition : Partenaire vient de l’anglais « partner » ; il est défini comme une « personne associée dans » . Il est le co-acteur d’un partenariat.

Quant au partenariat, il n’est pas possible d’en donner une définition d’une manière universelle et générale. En effet, il varie selon les milieux où il est appliqué.
Il peut se définir comme une association entre deux entités qui décident de coopérer en vue de réaliser un objectif commun. Tout en laissant leur autonomie à chacun des partenaires, il permet de créer des synergies. Par exemple, dans les alliances stratégiques, chacun des partenaires reste indépendant et garde ses intérêts et son autonomie.

Il existe une autre définition du partenariat qui indique qu’il est déterminé par le « minimum d’action commune négociée visant à la résolution d’un programme reconnu commun ».
Nous ne sommes plus dans des définitions statiques ou dogmatiques, immuables comme celles qui nomment les objets, mais bien dans la construction d’un système qui lie au minimum deux partenaires, qui organise leurs différences autour de la perspective commune de complémentarités et de bénéfices.

Le partenariat impose la reconnaissance et le respect de l’altérité, la compréhension des fonctions respectives, la négociation d’une action qui serve aux besoins de chacun.

L’échange entre les partenaires est fait de collaboration et de coopération. Il suppose un partage d’informations puisqu’il s’appuie sur le rapport d’interdépendance entre deux sujets différents qui œuvrent et qui s’articulent dans une notion de dynamique et de souplesse afin de contribuer à une construction commune.

« L’exercice des mises en applications doit permettre au pratiquant de vérifier la justesse du geste effectué. »

Que fait le partenaire dans le travail sur les applications ? Comment doit-il se comporter ? Quel est son rôle ?

Je découvre progressivement durant les deux premières années de pratique que la gestuelle du taichi a un sens martial : que chaque geste correspond à une chorégraphie de combat entre deux adversaires.

L’exercice des mises en applications doit permettre au pratiquant de vérifier la justesse du geste effectué. Il a besoin pour cela d’un partenaire qui lui porte une attaque. Je me suis interrogée sur l’attitude que je devais avoir lorsque j’étais ce partenaire.

Comme le dit notre maître Tung Kai Ying, « le tai chi chuan …est aussi une méthode de self défense très élaborée et efficace… », en conséquence, je dois accepter de perdre le combat. Car si le geste de réponse est juste, il va neutraliser l’attaque, la rendre inopérante. Oui mais pour qu’il soit juste, il a besoin d’une attaque juste. Car sa réponse est aussi fonction de mon attaque puisqu’il va me toucher, m’absorber, me dissoudre, me « circonvoluer », me retourner, et utiliser ce que je vais lui donner pour me déstabiliser.

Il ne se rendra compte de l’efficacité de sa réponse que si mon offensive est correcte.
Je dois donc attaquer juste, mais ne pas chercher à gagner.
Je dois attaquer dans une distance réaliste de combat, c’est à dire courte, pour simuler un danger potentiel.
Je dois lui fournir la direction, la puissance, le mouvement de l’attaque, tout en lui donnant le temps d’élaborer sa réponse, de la construire selon ce qu’il est, selon ce qu’il sait faire.

Par exemple, dans l’application du « brossé du genou gauche », s’il me demande un coup de poing droit, pied droit devant, je dois être dans une avancée franche sur le pied droit, avec un poing qui « irait au delà » si je ne le freinais pas. Je ne dois surtout pas modifier la direction de l’attaque. Ma dynamique doit être vers mon partenaire, qui doit tenir compte de cette avancée, raison pour laquelle il va se placer pour éviter le coup, le dévier, et me déséquilibrer.

Si je ne suis pas dans une dynamique attaquante, pourquoi bougerait-il ? Mais si je suis trop agressive, je vais générer des réponses instinctives et non construites qui gêneront son apprentissage.
Il faut donc construire ensemble cet échange de pratiques, sans pour autant dénaturer le rôle de l’attaquant, qui amènerait une transformation du geste réponse. Il me faut connaître ce qui constitue la réponse, mais ne pas l’anticiper. Je dois pouvoir l’informer de ce que sa réponse provoque chez moi : déséquilibre, zones sensibles, possibilité ou impossibilité de riposte, afin qu’il puisse ajuster son geste.

De la même façon, dans l’application du « reculer et sceller », s’il me demande une poussée ou tentative de poussée, je dois être dans la continuité de la poussée, mais cependant sans y mettre de puissance ; si je m’arrête ou recule au moment de l’impact, mon partenaire n’aura plus aucune raison d’absorber, ne pourra pas expérimenter que l’absorption me fait chuter dans son vide, et qu’il peut utiliser mon déséquilibre pour me repousser.

Beaucoup de réponses aux attaques débutent par un dévié de l’attaque : la dissolution de la force linéaire sur le cercle n’est possible que si mon attaque ne dévie pas de sa ligne .
Par exemple, si, par crainte d’être jugée « agressive », j’envoie le coup de poing dans le vide « à côté » de mon partenaire, comment pourrait-il expérimenter le placement, le déplacement, le dévié, et la riposte ? Être « partenaire-attaquant » c’est devenir en quelque sorte son instrument de mesure pour tester sa capacité de réponse. C’est accepter la répétition du même geste d’attaque pour lui permettre d’ajuster ses propres gestes. Il s’instaure une sorte de dialogue, car sans dénaturer le geste d’attaque, je dois cependant être à l’écoute de ce qui peut être juste pour tel ou tel ; m’adapter à la morphologie, l’âge, la compétence connue et/ou supposée ; je dois adapter la distance, la vitesse d’exécution.

Il faut préalablement à la réponse, affûter le geste d’attaque car il est bien évident qu’au début de l’apprentissage, l’ignorance de l’un et de l’autre complique la tâche des deux protagonistes ! comment apprendre une réponse juste sur une non-attaque ? mais de la même façon, comment s’adapter à n’importe quel type d’attaque lorsqu’on en n’est qu’aux balbutiements ?

Il s’agit donc bien d’un jeu de patience et de construction commune.

La pratique des applications, c’est aussi permettre la mémorisation corporelle du mouvement : répéter, répéter, et encore répéter, jusqu’à ce que le corps effectue le geste, jusqu’à ce que la mémoire soit devenue corporelle. Ce n’est que lorsque la mémorisation est suffisante que le relâchement peut se mettre en place.
Il est donc important, à mon sens, de se prêter à cette répétition autant de fois que nécessaire, c’est à dire un « certain nombre de fois » ; il n’y a là aucune règle possible ; chacun a son rythme, sa méthode, ses particularités ; l’égalité numérique des échanges ne sera peut-être pas équitable ; la construction commune consiste bien à ce que chacun puisse s’approprier le geste juste de l’application, et les partenaires devront donc ajuster et s’adapter aux besoins éventuellement différents de l’un et de l’autre. Échanger les rôles, s’enrichir mutuellement des découvertes d’expériences et de ressentis, ne pas être dans une logique purement comptable, mais être pleinement conscient que l’apprentissage de l’un bénéficie à l’autre.

Dans la pratique du tuishou et plus précisément du tuishou traditionnel, le partenariat s’organise différemment ;

Le jeu des « mains collantes ou poussée des mains » débute par le contact corporel entre deux partenaires.
Et qui dit contact, dit langage, communication tactile. Je découvre mon partenaire par la perception de sa peau, la largeur ou l’étroitesse de son poignet, sa température plus ou moins élevée , la douceur ou la rudesse, la fragilité ou la dureté apparente ; je peux être à l’écoute de son équilibre, de sa structure ;
J’entre en contact non plus avec le regard ou le langage, mais avec le toucher. J’apprends ou plutôt je réapprends cette forme de communication.
Cette communication tactile induit nécessairement la réciprocité. il me donne des informations, je lui donne des informations. nous communiquons ; nous ne pouvons pas ne pas communiquer.

Le couple en mécanique désigne l’effort en rotation appliqué à un axe : un bras tire, un bras pousse, les deux forces étant égales et opposées.
Seule, je suis immobile, sans mouvement. Contact. nous sommes deux, nous pouvons rester immobiles…quoique, imperceptible, un mouvement … il entraîne une réponse, et le jeu s’engage ; apprendre à coller : c’est être à l’écoute ; il s’en va, je le suis ; il me pousse, je m’en vais.

Il s’agit de faire des ronds, à l’horizontal, puis en diagonale, à deux puis à quatre mains, on tâche de ne pas faire de nœuds, on fluidifie, en avant, en arrière et surtout on colle.
Ne pas oublier sa ligne, sa verticalité, tirer sur la nuque, rentrer le menton, ni trop dure, ni trop molle, attentive à la posture ;

Lévogire ou dextrogire ; et quand vous êtes dans l’un, votre partenaire est dans l’autre…normal ? sans doute !
Et après on joue… on « brosse », on « singe », on « lu », on fait « belle dame » à son partenaire qui ….valse…. Je suis Yin, il est Yang ; je suis Yang, il est Yin. Je teste la poussée, il teste l’absorption, il me dévie, j’accepte, j’absorbe, il me suit et ce qui est ligne devient cercle par le jeu complémentaire des forces. L’équilibre des forces, l’équilibre des lignes, le jeu avec le vide ; expérimenter avec l’autre la subtilité du jeu et de ses possibles.

Comparer les binômes et les expériences. Suis-je la même ? Ou suis-je une autre ? M’adapter à mon partenaire, être à l’écoute, disponible, reliée. Être je , mais dans ce nous unique et instantané, ce nous qui sera différent demain et ce je qui sera différent avec un autre.
L’impermanence ;

Etre présent au présent. Nous formons un « couple », nous échangeons sans mot une foule d’informations, nous apprenons à percevoir sans dire, à décoder, à nous adapter, à répondre, à respecter ; j’ai besoin de mon partenaire autant qu’il a besoin de moi, car sans lui il n’y a plus de jeu possible. Seule, immobile, sans vie ; mais dès qu’il y a contact, deux, mouvement, vie, énergie, échange, et toute une panoplie de jeux !

Je suis partenaire, j’écoute, j’apprends, j’observe la différence, je respecte, je m’adapte, j’accepte, je me transforme.
Je fais connaissance avec l’autre et avec moi, avec mes possibles et mes vulnérabilités, je corrige mes postures à l’aide de mon partenaire et des informations qu’il me transmet sur lui, sur nous, sur moi.

« tuishou : école de la subtilité du jeu »

Mais suis-Je ? ou sommes-Nous ? Que voudrait-dire Je sans le Nous ?
Etre ou ne pas Etre : encore cette question ?
Que veut-dire cette question en un pareil moment ?
Etre présent au présent, pour mon partenaire, ne pas trop penser, se contenter

d’être là, dans le jeu, être sans être, ouh là là…qu’il est difficile de n’être que là, Partenaire !…harmonie corps, pensée, émotion, ne pas donner trop de place à l’un ou à l’autre, être disponible pour mon partenaire qui de son côté vit cet instant à sa façon, façon qui joue avec la mienne, et modifie la mienne.
Apprentissage de la sensibilité, de l’anticipation, de la place de l’un et de l’autre, jeu subtil du mouvement, de ce qui le génère, de l’intention, de l’émotion, de l’influence de l’extérieur sur l’intérieur, du contexte sur le particulier, et de la réciprocité ; observation des différences, des perceptions, des réactions, de la vie dans la multiplicité de ses formes, mais dans l’unicité de son principe. Et me voilà repartie dans mon esprit quand je dois être présente à mon jeu avec le partenaire de cet instant.

Tuishou, école de la subtilité du jeu (ou je ?) avec un partenaire.

S’interroger sur ce qu’est ou ce que fait le partenaire, dans les pratiques à deux paraît naturel, qu’en est-il dans la pratique de la Forme ?

La Forme, entraînement de base, enchaînement des mouvements, fil de soie (soi?) à dérouler dans une maîtrise du rythme, du geste ; être présent au présent, habiter son corps ;

Qui est mon partenaire ? Où es-tu partenaire ?

Parfois seule, parfois en groupe, parfois lente, parfois rapide, la forme se déroule et je suis là.

Je ? et toi Partenaire, qui es-tu ?

Toi, mon corps, qui fait ce qu’il peut, parfois ce qu’il veut indépendamment de ce que je voudrais,
Mon corps imparfait, trop ceci, pas assez cela, trop impétueux ou trop lent, trop impulsif ou trop endormi, trop lourd ou trop léger, tordu, raide, mou, qui ne m’obéit pas comme je le voudrais, qui ne mémorise pas ce que je voudrais, mon corps que j’habite et que je dois apprivoiser, domestiquer mais qui me domine aussi, tu es avec moi comme un partenaire : je dois apprendre à te connaître tout comme j’entre en relation avec un partenaire : que sais-tu faire ? que peux-tu faire ? aujourd’hui, en ce lieu, comment puis-je jouer avec toi, jouer de toi ? comment puis-je améliorer notre relation ? comment peux-tu améliorer mon mouvement ? que dois-je faire pour que tu sois plus performant ? comment me conduire avec toi ?

« Mon corps, tu es mon premier partenaire, Mon corps, ton arme à toi est la douleur, et parfois tu en

mais tu n’es pas le seul »

uses lorsque tu n’es pas satisfait de notre relation ; c’est ton langage d’alerte et je dois en tenir compte . Apprendre à décoder ce qui est une douleur saine de celle qui est due

à mon inattention ou à mon inexpérience ; accepter celle avec laquelle il faut composer, celle qui me limite et que je dois contourner, « circonvoluer »…
Je découvre à quel point le dialogue qui s’instaure procure des émotions, j’explore, je constate les échanges avec le mental ; l’état de mon corps influe sur mes capacités de réflexion ; lorsque je lui fais confiance, je mesure peu à peu qu’il devient intelligent ; c’est un apprentissage surprenant, déroutant, intéressant.

Mon corps, tu es mon premier partenaire, mais tu n’es pas le seul ;

Avec toi, il y a l’ombre de toi, mon « double-attaquant », qui est là et auquel je réponds, afin que le mouvement soit plein en intention, et que l’extérieur vienne équilibrer l’intérieur.
Mon ombre, tu es mon deuxième partenaire, mon miroir, mon double, le sens donné au mouvement.
Même poids, même taille, tu me fais face et tu me donnes la réplique, ou plutôt tu me précèdes et je te donne la réponse.

Ombre de moi-même, à qui je donne le rôle et la fonction de complémentaire pour exécuter le mouvement juste, tout comme j’ai tenté de le faire avec un partenaire.

Oui mais, mon ombre, tu n’es pas la seule , car lors d’une pratique en groupe, bien d’autres expériences viennent s’ajouter: car nous sommes nombreux, avec les autres pratiquants… et leurs ombres !…
Je suis en angle, ou au centre du groupe, mes sensations ne sont pas les mêmes ; la perception de mon environnement, les autres membres du groupe qui exécutent les mouvements au même rythme, leur respiration, leurs efforts, parfois j’ai le sentiment du Yang, d’entraîner le mouvement, et parfois du Yin, d’être portée par le mouvement.

Etre portée, pouvoir se diluer dans l’ensemble, faire l’expérience de se perdre, d’être reliée et de lâcher le Je pour le Nous, vivre au rythme commun ;
Confiance et lâcher-prise du Je, un apprentissage sans cesse revisité.

Mes partenaires sont alors tous ceux qui m’entourent, débutants, avancés, jeunes ou non,semblables et différents, tels que la vie me les offre à l’instant présent, parce que ce jour-là je suis là et que ce jour-là ils sont là, parce que ce qui nous réunit c’est cette forme faite en commun, comme au quotidien la vie que je partage me met en relation avec ceux que je rencontre.

Et pour conclure ce questionnement sur le « Partenaire » :

Un ou Identité

Une amie asiatique me disait que lorsque je lui téléphonais, il fallait très vite me nommer, car pour elle, répondre sans savoir à qui , la laissait très démunie : tant qu’elle ne savait pas à qui elle parlait, elle ne savait pas qui elle était.

Deux ou Circularité

Chacun est la cause de l’autre.

et ce que je nommerai : Don et réciprocité du Don

« …Plus il donne aux autres, plus il s’enrichit.
Et il possède un trésor précieux : ce qu’il a donné aux autres… » (Tao 81)

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